Immersion sur le terrain avec le service Niya Moja

Le service Niya Moja 2 a revu le jour en ce début d’année. Partons ensemble découvrir les missions de ce dispositif et l’accompagnement proposé par les professionnels.

Vendredi 29 avril. 10h. Une légère pluie s’abat sur les hauteurs du village de Vahibé. En surplombant la colline, nous faisons face à une multitude d’abris en tôle qui descendent à pic vers la rivière. Fidèles au poste, Jormine et El-Dine, les deux éducateurs du service Niya Moja parcourent les quartiers depuis le début de matinée.

Le dispositif « Niya Moja » qui signifie “l’Union” en langue shimaoraise, a été pensé et mis en place en réponse à l’appel à projets lancé par la DIRECCTE de Mayotte en mars 2019. Il ciblait les jeunes de 16 à 29 ans très éloignés de l’emploi inconnus des institutions publiques et les jeunes ayant déjà été identifiés par les acteurs de la formation et de l’insertion mais qui n’ont pas donné suite aux services proposés et ce, pour diverses raisons : démobilisation, coordonnées téléphoniques incorrectes, formation proposée en inadéquation avec leur projet.

Phase expérimentale d’une année en 2020, ce service était basé dans les quartiers sud de Mamoudzou : Tsoundzou 1 et 2 et Passamainty. Un étude de diagnostic a été préalablement menée : étude des infrastructures présentes sur le territoire, rencontres avec la population, analyse de la composition des familles des jeunes, analyse des profils des jeunes du dispositif etc. Niya Moja a permis de repérer 521 jeunes dit invisibles et de mobiliser 347 d’entre eux en 2020. Devant cette belle réussite, le service Niya Moja 2 est né en début d’année 2022 et se concentre pendant 6-7 mois sur le village de Vahibé avec à sa tête, Nayssa Tamdjadi, ancienne cheffe de service de l’accueil de Jour M’Sayidie.

L’hyper proximité du secteur d’intervention et du local du service est une des clefs pour instaurer plus facilement un lien de confiance. El-dine explique que les habitants ne se sont pas tout de suite confiés sur leurs problématiques car la méfiance était très présente au début. Pour lui, la posture professionnelle ne doit pas apparaître directement lorsque se crée une rencontre, un échange. ” Je fais marcher mon humour car c’est ce qui me correspond mais chacun a sa façon de faire”. Mais cette méthode simple et naturelle fonctionne à merveille lorsqu’on le voit arriver avec un grand sourire face à quelques femmes et enfants dans un des quartiers. Sourire contagieux, liens tissés après de nombreuses maraudes, nous sentons une réelle familiarité entre eux. ” En tout, on doit faire 3 maraudes par semaine” racontent El-Dine et Jormine.” C’est grâce à cela que nous pouvons atteindre également les jeunes qui ont besoin d’accompagnement. On montre que l’on existe non seulement pour l’accompagnement des jeunes mais aussi des familles.”

Les objectifs des maraudes sont multiples : se faire connaître et expliquer l’activité, le but des missions, mais aussi accompagner vers un meilleur vivre ensemble. Certains quartiers sont si isolés dans le village que l’exclusion qu’ils ressentent peut créer des frustrations et confrontations. Enfin, ces “allers vers” fréquents sur le terrain permettent de cibler des jeunes les plus en difficulté et en demande d’accompagnement. ” Pour moi, il n’y a pas que l’accompagnement professionnel ou régler les problèmes administratifs qui priment. Il y a des humains derrière et j’aime m’attacher à répondre à des problèmes personnels ou des problématiques sociales, familiales comme aider une fratrie en désentente par exemple. C’est un tout pour le bien-être général”.

Une des premières missions du dispositif se résume à comprendre les spécificités de chaque quartier pour installer des projets qui ont du sens par rapport au quotidien. Dans un quartier, Jormine et El-Dine côtoient beaucoup d’enfants en bas-âge livrés à eux-mêmes et une demande discrète des adultes pour bénéficier d’un soutien à la parentalité. Quelques centaines de mètres plus bas, à Chagnougoni, une reflexion s’est posée pour dévélopper pas à pas une sensibilisation à l’environnement. Des cours de savoirs de base ont été institués par les deux éducateurs et commenceront prochainement suite à une demande massive des habitants de connaître quelques mots français. Jeux et légèreté sont au programme pour cet apprentissage.

Etant désormais intégrés à l’intérieur des quartiers, les éducateurs ont pu rencontrer les jeunes et proposer un entretien et par la suite pour certain(e)s, être suivis par les référentes parcours, Hafadhouna et Moukilati. La spécificité du service Niya Moja est la possibilité pour les jeunes d’être accompagnés de façon personnalisée pour construire un projet professionnel et lever les freins périphériques.  L’objectif de ces entretiens est de réaliser un état des lieux du parcours du jeune (parcours scolaire, expériences, besoins, attentes, inquiétudes, objectifs, problématiques, pistes professionnelles envisagées, …) et de mettre en place un accompagnement « sur-mesure ».

Le lien se développe donc sur le terrain mais aussi au local du service où les jeunes ont été accueillis par la Mission Locale pour créer un premier dossier. Un atelier théâtre a vu le jour avec une quinzaine de jeunes sur le thème “Mon quartier” et… il fait des émules ! On se déguise, on rit, on passe le temps, on apprend à vivre avec les autres et… On crée une famille. Car oui, en arrivant quelques semaines après le début de ces ateliers, nous ressentons une “bulle affective” en regardant les professionnels et les jeunes. Jormine rajoute : “Nous souhaitons un espace vivant alors nous les invitons à venir à n’importe quelle heure de la journée. Au moins, on ne les perd pas de vue et ils sont heureux d’être ensemble, et nous heureux de les voir s’épanouir. Dans ce groupe théâtre, une majorité de jeunes viennent de Chagnougouni, le quartier extrêmement isolé et précaire. Dans le bouche à oreille habituel, nous entendons souvent que les habitants de ce quartier ne souhaitent pas se mêler aux autres mais pourtant, ici, dans ce local, c’est l’exact contraire que nous voyons de nos yeux. Ces jeunes cherchent à exister. ” C’est leur plus grand souhait : exister au yeux du monde et apprendre.” Ces ateliers pourraient être exposés à l’intérieur même des quartiers pour mettre le travail des jeunes en valeur mais aussi proposer une intéraction inter-quartiers.

Jormine est l’exemple parfait pour donner un espoir certain aux jeunes accompagnés. En commençant en tant que bénévole à la Croix-Rouge, son avenir professionnel n’a cessé d’évoluer. Service civique à la Prévention Spécialisée qui a montré toute sa motivation, il a prouvé qu’il avait toutes les compétences humaines et professionnelles pour être éducateur. D’une nature discrète, Jormine nous livre : “J’aime beaucoup mon métier, je pense qu’il faut vraiment faire ce métier par passion sinon ça ne sert à rien.”

Fatima est une des jeunes participant au groupe théâtre : Un ami qui habite Vahibé m’a parlé du dispositif Niya Moja et je suis venue les rencontrer il y a un mois. J’ai envie de m’inscrire à l’université à Dembeni. Depuis que je suis arrivée ici, j’ai appris à être et vivre avec les autres. J’apprends avec eux et je leur apprends aussi des choses de mon côté. Les éducateurs me forment pour devenir la rédactrice de l’atelier théâtre. Mon rêve est de devenir professeur des écoles.”

Le service Niya Moja 2 s’est implanté il y a seulement quatre mois à Vahibé mais nous ressentons les multiples bienfaits qu’il sème autour du village. Désormais, le bouche à oreille fonctionne, les parents en parlent entre eux pour leurs propres jeunes, les tensions s’apaisent en réalisant les premières sorties positives de quelques jeunes et l’équipe fait sa place.

Niya Moya, “l’Union”, l’union d’un quartier, inter-quartiers, l’union des jeunes entre eux, l’union de l’équipe envers ces jeunes, ce village. Un début encore une fois prometteur pour un dispositif au coeur du terrain.